dimanche 31 décembre 2006

Montpellier




Tu ris. Un oiseau. Haut. Sur le ciel du soir. Un fluet parfum
d’amandes sème des transparences de coquilles rouges éparpillées à l’horizon.
Des soupirs glissent comme des enfants sur les toboggans, des bribes de mots,
en fluides avides du soir.
Attendre,
attendre, suspendue à l’invisible va et vient des pas et des voix.
Regarder,
regarder que se ravivent les bouches lumineuses des fenêtres.
Surprendre, attentive, un peu ici, un peu ailleurs,
les oscillations en souffles de velours.
Respirer apaisée les noeuds défaits du jour,
caresser éblouie les paillettes du bal masqué de la nuit qui vient.


Marie est venue au monde le 5 novembre 2123.
C’est un chiffre symbolique. Nous n’y sommes pas encore, c’est dans 117 ans, l’âge futur de ma grand-mère qui elle-même a vécu avec Marie à partir du jour où elle l’a rencontrée.
C’était dans un café. Un pur hasard. Quelque chose de fortuit comme la sonnerie d’un téléphone en pleine cérémonie commémorative de la libération des Foliphibiens. Les Foliphibiens étaient longtemps présumés sous hominés mais les découvertes scientifiques ont permis de revoir leur classification. Il me faudra d’ailleurs vérifier la date exacte de leur réhabilitation, la noter une fois pour toutes et ne plus dériver de chiffon rouge à panneau posthume. Fin de digression.
Marie était très jeune mais ma grand-mère ne l’était pas moins. Elle lui a proposé d’aller voir, dans l’instant même de l’échange de leurs premiers regards, la mer.
La mer. Oui. Celle qui étire de tous côtés les cris des mouettes, éparpille les oublis sous les rafales de vent, disperse des effluves d’algues et de coquillages aux exilés, et siffle une poudre rose carmin sur les joues des enfants.
La mer. Au petit matin frileux, sans croissant, sans café, après une nuit blanche, creusée d’éclats de phares, de moteur vrombissant, de portières claquées, de sirènes aigues, d’autoroutes blafardes. La mer.
La mer. Les pieds nus, le sable humide et froid, les vagues dans le silence encore endormi.
La mer. Ma grand mère aimait Marie et Marie aimait ma grand-mère. La mer était bleue comme le ciel est bleu. Elles ont dit sans se le dire «Pour toujours», la mer est venue apposer sa lettre éphémère devant leurs orteils sagement alignés.
Une signature en gorgée de mousse a pétillé et s’est dissoute laissant un nacre léger, un peu de sel, quelques pétales du présent. Le lampadaire s’est éteint. Elles se sont regardées émues. Elles ont deviné qu’un jour j’écrirai ces mots, que je viendrai moi aussi, tout au bord des vagues, l’oreille collée aux lèvres du temps, quand ce sera le moment, je mettrai sagement mes orteils à côté d’autres orteils, quelque chose rira, tout doucement, sans moquerie, sans triomphe. Une vague léchant le sable jouera des dés, ils rouleront en semant des clins d’oeil de nacré sur le bonheur qui m’est promis.


Ah c’est toi. Les cauchemars c’est l’horreur, une nuit ça va, plusieurs nuits c’est épuisant.
On a toujours le temps de se parler je suis très sensible cela ne se voit pas j’hésite beaucoup j’étais habitué à travailler avec des acrobates j’adore ça c’est le grand saut ils t’ont trouvé très sympathique j’ai bien compris très important pour l’avenir je comprends c’est une affaire de point de vue il n’y a aucun problème c’était un super entretien les cadavres sont adorables on sent un esprit d’équipe on ne m’a dit que du bien des plumes d’oie mais j’ai zappé désolé pour mon erreur passée je suis d’accord pour modifier le prototype la situation a changé je suis partante pour le pudding ils avaient la même voix vraiment mon amie m’en a parlé j’aimerais continuer à faire aussi du surfing et du décoding oui suivre les cours du samedi c’est le bruit des voitures on marche dans la rue pour aller au restaurant vraiment épuisant de répondre à tout je suis hyper heureuse d’avoir trouvé ce job il faudrait les recycler, tu vois, comme les déchets je ne t’entends pas bien si je trouve ton mode d’emploi cool je suis contente ça va se faire très sérieusement c’est un Cv qui tient la route une nuit à trous ici on est en plein dedans ça grouille je ne peux pas dormir ils ont accepté le projet la chaleur l’émotion des milliers sont venus voir j’ai un côté social non je n’ai pas peur des cas difficiles c’est une future publication je fonce toujours ici à la même heure le même jour deux rendez vous c’est incroyable je l’ai confondu avec quelqu’un d’autre la confiance s’installe c’est réciproque se creuser la tête à longueur de temps c’est stimulant je me retrouve dans ce que tout le monde dit heureusement je ne suis pas seule on est à deux l’anticipation ? Non, je ne l’ai pas reconnue mais je vérifie plutôt le décalage c’est l’horaire, les images défilent les pieds seront de plomb je t’envoie tout en colissimo il y a trop de gens qui s’ennuient sans problème.
Ah, les cauchemars ! Non, on ne les a pas catalogués, ils ont une vie naturelle.
Difficile de s’y habituer ? Je reste optimiste, tout te réussit, on positive. À plus tard, je débranche. Ne me rappelle pas, on va toutes les deux au restaurant des clandestins.