dimanche 31 décembre 2006

Tokyo


Les lapins ne sont pas des requins,
ni les requins
des lapins.


On l’attend. Elle exagère. Toujours pareil. Jamais à l’heure.
Pourtant c’était clair. Clair comme un caillou posé sur la nappe qui ne doit pas s’envoler. La nappe de la table du jardin, rose de préférence pour contraster avec le vert des arbres et de l’herbe, au printemps, rose comme un bonbon au parfum décuplé de fraise des bois, rose, je l’ai mise ce matin avant de partir et j’attends, j’attends, elle exagère, c’est toujours pareil, elle me met à l’épreuve, c’est clair, comme un caillou posé sur l’eau, sur l’eau bleue, c’est forcément un caillou blanc, pour faire contraste, un caillou blanc, blanc comme un nuage là haut dans le ciel, un peu seul et perdu qui se demande ce qu’il fait là dans la lumière, comme moi, il s’est trompé de rendez vous, il a mal lu les instructions du boss, il a pris ses désirs pour des réalités, il a sauté du lit avant l’heure, s’est engouffré dans le premier taxi, le premier souffle l’a porté jusqu’ici et j’attends et j’attends, je ne vais pas m’impatienter, il ne faut absolument pas, chacun est libre comme un caillou, c’est ce que je dis, c’est ce que je crois, libre d’être un nuage, une table, un taxi, un ami, un ennemi, il faut s’y tenir fermement, fermement, quoiqu’il advienne, j’attends, j’attends. La vie est toujours à l’heure.


Mon mari est gentil
Le mien est parti
Mes enfants sont grands
Les miens sont à l’école
Demain je lessive
Aujourd’hui je nettoie
On n’arrête pas
On n’arrête pas
Mon frigidaire est en panne
J’ai changé de télé
Les affaires vont bien
Les salaires ont baissé
J’ai trouvé du travail
Mon usine m’a licenciée
Je m’occupe de ma mère
Mon père est hospitalisé
On n’arrête pas
On n’arrête pas
Je compte les jours
J’ai peur d’oublier
Les courses sont faites
Les enfants accueillis
Les parents bien soignés
Le printemps est là
L’hiver est passé
Tout va bien
Tout va bien
On n’arrête pas
On n’arrête pas
On n’arrête pas
On n’arrête pas
Tout va bien
Tout va bien
On n’arrête pas
On n’arrête pas


Je ne perdrais pas au change pardi ! J’aimerais être un enfant, pas un vrai, un faux, en sucre par exemple, ça paraît bizarre mais comme ça, en sucre, en chamaloo, en réglisse, en mimi bien gras, bien mou, bien doux, voilà.
Comme celui que vous avez croisé hier, en vous promenant sans but dans la ville.
Un comme ça, vous voyez, faites un petit effort si vous voulez communiquer avec moi, bon sang, secouez vous, vous me découragez par votre inertie, vous résistez sans cesse, je le vois bien votre surmoi vous statufie, ça ne passe pas, le bonbon coince dans la gorge, quel prétexte allez vous trouver pour ne pas jouer avec moi, votre maman vous l’interdit, ce n’est pas bien, vous avez passé l’âge, maman dit qu’il ne faut pas jouer avec les autres petits garçons, y compris ceux qui vous prennent en otage avec des yeux qui leur sortent de la tête, même s’ils sont gentils, eux aussi, elle le dit souvent, je la crois, parfois, entre nous je fais semblant pour lui faire plaisir, vraiment, et je suis content aussi quand elle fait l’étonnée, car elle ne me croyait pas si gentil, si mou, si gras, si doux, si sucré, si bon et en plus si collant, je ne la lâche plus.
Je ne la lâcherai plus, je resterai sagement assis à côté d’elle, sur un banc, sous le parapluie, je déplierai les choses en les rendant dociles, comme des bonbons qui s’envolent qui s’envolent, comme des je t’aime qui collent aux doigts.