lundi 16 juin 2008

Île Saint Pierre


Je vous ai gardé une place, face au lac. L’eau se teinte des reflets du ciel, des mouvements incessants des nuages, des éclipses du soleil et des éblouissements soudains de son retour. Je vous attends. L’averse a dispersé les promeneurs. Il n’y aura que vous et moi. Seuls. En face à face. Pour évoquer un commencement, un destin, peut-être. Vous avez raison nul ne peut dire ce qui aurait changé si vous étiez venu il y a des centaines d’années. Si vous étiez venu le matin, lorsque les eaux s’étaient à peine retirées du bouillonnement des pierres roulées, bien avant que ne se dessine la plage, bien avant que ne s’ordonnent les flots agités. Vous avez eu peur. Aujourd’hui tout est en place, il y a des tables et des chaises, il y a des poubelles et des ordures. Il y a d’invisibles poisons chimiques mêlés à d’incolores pesticides, il y a de calmes mensonges qui bercent les survivants, il y a une douceur qui paralyse la révolte. Il y a l’apparence qui possède toute chose et disperse les futiles reproches. Un souffle de vent engendre un rire moqueur. Je vous invente à l’origine dans un improbable dialogue et une folle espérance.


Je rêve en attendant je ne sais quoi, je ne sais qui. En attendant… le rêve, un ruban de mots, et de mouvements, de couleurs, une étrange polyphonie, perméable au présent, greffée sur un néant agité de possibles formes. Je rêve. Les chaises fondent comme sucre. La plage scintille et s’efface. L’eau dissimule les rives, s’allonge, s’étire, en elle se retourne le ciel comme une fourrure se change en écailles et des écailles en lisse murmure. J’ai perdu quelque chose sans savoir quoi. J’ai trouvé je ne sais davantage comme si emportée fluide et intemporelle je n’étais que le songe. Les chaises sont vides et peuplées. Parents et amis ont surgi, agrippée à une branche secouée par le vent, je me suis retournée comme le nageur se roule sur lui-même et remonte à la surface. Les pins ont une odeur prenante et chaude. Je ne suis pas partie. Mes pieds tâtent les cailloux sous la semelle, raclent, poussent l’un deux comme une balle. Il a une jolie couleur. Blanc comme les nuages.